30 octobre 2019

Fonction poétique et psychothérapie

A propos de l’ouvrage de François Tosquelles 
"Fonction poétique et psychothérapie"
Éditions Eres 2003 
Gregory Bost
22 juin 2019

Dans cet ouvrage consacré à l’oeuvre du poète catalan Gabriel Ferrater ( Biel), il met l’accent sur la fonction de la parole et du langage présente dans tout le discours humain. Il développe l’idée selon laquelle le discours d’un patient en psychothérapie ou en psychanalyse suit le même cours que celui d’un poète s’efforçant d’exprimer la réalité du monde ou sa propre vérité, ce qui dans les deux cas, même si la valeur esthétique n’est pas la même, convoque le sujet à la recherche de son identité et de sa singularité. Il montre également à travers le concept de « Gestalt » qu’il situe non pas comme une forme figée mais plutôt dans l’enchaînement des événements ou comme une forme en formation (« Gestaltüng »), comment les différents espaces formant un ensemble articulé, peuvent devenir progressivement le nid même de la constitution du sujet ; lieu d’émergence d’une expérience poétique en tant qu’elle représente un certain rapport à la vérité que chacun tente d’établir dans la rencontre avec l’altérité.

Tout au long de ce texte, il n’aura de cesse de montrer comment la littérature et la psychanalyse apparaissent comme des espaces de tranquillité préservant l’intimité de chaque sujet,comme des espaces d’accueil du rythme de l’existence humaine et d’une possible mise en forme de son intranquillité. Ou encore,pour reprendre Ginette Michaud dans son ouvrage: " Tenir au secret ", comment « la littérature et la psychanalyse sont les derniers lieux d’hospitalité inconditionnelle ».

Pour essayer d’entrevoir ce qu’il pourrait y avoir de commun entre la pratique de la psychanalyse et la littérature, je cite ici Tosquelles, : « il semble important de bien distinguer en quoi elles sont l’expression d’un certain langage qui ne ressemble en rien à l’utilisation de la langue et à son étude s’agissant des comportements. ». En effet, les structures du langage peuvent être abordées à partir de points de vue divers mais ce qui nous intéresse ici c’est que, pour reprendre un jeu de mot de Tosquelles : « en plus de ce qui « existe », il y a ce qui in-siste ». En plus et au-delà de ce qu’on peut voir et toucher, il y a ce qu’on ne verra jamais et que, tout au plus, on pourra entendre.

Il y a donc dans le langage, quelque chose qui n’existe pas de lui-même mais qui devient existant que lorsqu’un autre l’entend, qui insiste avant d’exister, et qui insiste dans et par la structure du langage. Comme on le sait, Freud donna à cette « autre chose » dont il dévoila l’insistance et la persistance, le nom d’inconscient. Ainsi, l’objet que nous travaillons, le discours de l’autre, peut nous révéler une « autre chose » que ce que l’auteur du discours a bien voulu nous révéler au départ, surtout quand celui-ci se trouve travaillé par une certaine fonction poétique du langage. Si dans le travail psychothérapique, nous nous efforçons de rester attentif au discours de l’autre, en suivant les chemins que la fonction poétique du langage veut bien tracer afin que celui qui parle puisse entrevoir dans son propre discours cette « autre chose », il semble que ce dialogue présente des points communs avec ce que le poète tente d’établir avec celui qui l’écoute. En effet, c’est en partageant et en traversant ce même espace du langage, que la psychanalyse et la littérature peuvent être à même de faire entrevoir le sujet. « C’est que, pour résumer, nous ne pouvons oublier que c’est seulement par les chemins de la fonction poétique du langage que continue à se tisser toujours la singularité radicale de chacun ». 1

Mais avant d’aller plus loin dans le rapport entre psychanalyse et langage, il m’a semblé important d’essayer de cerner ce que pourrait représenter ce langage et comment Tosquelles semble le concevoir. Comme il nous l’indique( je cite) : «...les éléments structuraux du langage, je veux dire les signes et non pas les signaux, se présentent toujours divisés en deux versants. D’une part, ce qui concerne et se distribue à travers les signifiants, et limités en nombre et délimités par des oppositions distinctives différentes dans chaque langue ( on pourrait presque dire les phonèmes) qui, soit dit en passant, n’ont en eux même aucun sens. Et d’autre part, ce qui concerne les champs des « significations » qui suivent d’autres chemins tout aussi structurés en combinatoires, mais couchés en un texte concret...ce ne sont pas les signifiants mais les significations qui acquièrent un sens pour celui qui écoute la parole et même pour celui qui parle ». 2 

Il existe donc une double articulation du langage, signifiant et signifié (signification pour Tosquelles) sont les deux faces du même signe. Il n’y a qu’un signe et deux faces qui sont séparés et ce trait de séparation vient marquer comment le sujet se trouve divisé dans et par le langage. En effet, si nous nous trouvons dès le début de la vie plongés dans un bain de langage, notre rapport aux signifiants semble totalement imposé. Cependant, cette aliénation fondamentale dans les signifiants qui nous viennent dans un premier temps essentiellement de la mère et qui sont les éléments matériels du langage, marque notre expérience subjective. Notre rapport aux signifiants va donc se trouver bouleversé ,venir marquer notre propre subjectivité et ce mécanisme qui va à la fois nous diviser et nous singulariser n’est autre que ce que Freud a décrit comme mécanisme de refoulement. Mais, « si la première langue parlée vient bien de la mère, c’est aussi elle qui permet-ou non- au petit sujet de se séparer d’elle, c’est elle qui introduit à l’Autre. En cela elle est également paternelle». 3

Lacan viendra reprendre cette fonction essentielle qui permet l’émergence d’un espace symbolique propre à chacun et y introduire la notion d’instance phallique. Cette instance va venir séparer, coller, faire jouer les signifiants entre eux. Quand la fonction phallique semble opérante, lorsqu’un certain tranchement a lieu, il y a ce que Lacan a appelé chute de l’objet a, chute entre deux signifiants. Cet objet a, à jamais perdu et dont la nécessaire chute vient permettre la possibilité d’un mouvement, d’une direction, l’émergence du désir. Le refoulement apparaît comme le mécanisme permettant cette perte inaugurale, nécessaire à
l’articulation des instances psychiques et à l’émergence d’une possible dialectique indispensable pour s’engager dans le rapport à l’autre. Ainsi, comme l’écrit Tosquelles, au moins deux fonctions différentes du langage semblent inséparables : « D’une part, il y a évidemment ce qui fonctionne en orientant les intentionnalité communicatives : ce qui constitue le volume, la qualité et l’efficacité de l’information retransmise des uns aux autres. Mais il nous faut aussi considérer comme une fonction propre du langage ce qui, en passant, fait le nid même du sujet, un nid qui, bien que fait de « chutes » qui tombent hors du cours du discours, ou restent souvent accrochées à ses branches, constitue le lieu souvent garni de duvet, de feuilles sèches ou de brins de n’importe quoi, le lieu que nous appellerons le sujet. Un lieu d’où l’homme « renaît »et prend son vol avec toutes les interrogations qui lui servent d’aile. Il est évident, en tout cas, que rien de tout cela ne peut advenir avant qu’aient eu lieu les « tries » de l’écouter et du parler, avant, s’il m’est permis de continuer mon image ou métaphore, que les « plumes »de la langue ne recouvrent le corps nu des petits oiseaux. C’est avec le langage que nous faisons notre deuxième naissance, celle qui, à la différence de tous les autres animaux, nous fait véritablement hommes, parmi les hommes, et hommes singuliers ». 4

Il s’agit, dans le discours, de ne pas perdre le fil des deux versants du langage puisque la singularité et l’identité de chaque homme qui parle s’y produit, ou dans les termes de Tosquelles, de laisser la place à l’élaboration d’une fonction poétique du langage. Ainsi, la fonction poétique du langage, en élaborant un discours adressé à l’autre, témoigne dans une certaine mesure de la situation transférentielle qui structure les séances et les rencontres psychothérapiques. Elle apparaît comme le lieu où naît le sujet plus qu’une personne déterminée, le lieu où prennent naissance les mêmes questions qui sont évoquées au cours d’une psychothérapie.

La psychothérapie se révèle alors comme la possibilité de « ...donner « au mouvement littéraire » de chacun en relation avec les autres, le lieu central qui lui correspond : le lieu et les moyens possibles de l’élaboration singulière du sujet humain. » En ce sens, la fonction poétique du langage se présente comme l’espace commun entre la psychanalyse et la littérature, soulignant ainsi plus clairement comment elle permet une certaine direction du corps par le signifiant, rendant ainsi possible l’émergence du désir. Or, et pour tisser un lien avec la psychopathologie, c’est bien ce qui est en question dans la névrose obsessionnelle, dans la difficulté voire même l’ impossibilité de trancher entre ce qui uni et désuni, entre le bien et le mal. Le sujet obsessionnel est pris dans un rapport au monde dialectisé mais qui est refermé sur lui même, de forme circulaire. Un processus de symbolisation peut avoir lieu mais l’obsessionnel se trouve coincé dans un mouvement incessant entre des signifiants maîtres dont il est impossible de se séparer. Le sujet semble alors pris dans une réelle difficulté afin d’Ex-ister, de se tenir hors, d’être à l’avant de soi, ou comme l’écrit le philosophe Henri Maldiney , « à dessein de soi » : Être à dessein de soi c’est ce qui fait qu’on se lève, qu’on se mobilise, c’est de l’ordre de l’élan. Cet élan indispensable pour pouvoir se pro-jeter dans l’Ex-istence, se jeter en avant à partir d’où l’on est. Or, en s ‘appuyant sur l’enseignement de J.Lacan dans le séminaire sur l’éthique de la psychanalyse, il apparaît que cet élan vital ne peut prendre forme que s’il est soutenu par un vide créateur, ce qu’il va définir comme la Chose : Das Ding.(je cite) « C’est autre chose_c’est une fonction primordiale, qui se situe au niveau initial d’instauration de la gravitation des représentations inconscientes ». 5

C’est à partir de là que la gravitation semble prendre son élan et que l’être peut apparaître, l’être en apparition. Or (je cite encore Lacan)« la Chose non pas n’est rien, mais littéralement n’est pas - elle se distingue comme absente, étrangère ». 
La question du manque apparaît comme fondatrice de celle du désir et ce, en tant qu’elle permet l’élaboration d’un espace du vide, du vide autour duquel l’émergence singulière de création peut avoir lieu, là où le rythme intime de chacun permet le mouvement de l’Ex-istence, le mouvement d’une forme existentielle singulière , en perpétuelle apparition à elle même.

Dans la cure analytique comme dans l’acte d’écrire, la place du vide se révèle donc essentielle afin qu’une certaine trace puisse se dessiner et marquer autrement chaque sujet. En revanche, s’il ne peut y avoir de rapport au vide, le mouvement ne peut avoir lieu, il se referme sur lui même, vers un but, laissant au mieux la place à une certaine forme de création esthétique, mais parfois aussi à l’émergence d’un sentiment d’effondrement du monde vécu que l’on peut retrouver chez certains sujets psychotiques. Dans la psychose, lorsque le mécanisme du refoulement n’a pu être opérant, la place du vide semble obstrué, et tout peut s’effondrer. Le mouvement d’émergence du désir peine à se mettre en forme puisque le trou inaugural autour duquel il s’engendre semble combler en permanence, ne laissant ainsi que peu de place à la délimitation d’un espace à l’intérieur duquel le sujet puisse se tenir en mouvement. Un mouvement ne peut avoir lieu que s’il existe un espace du vide autour duquel peut apparaître l’émergence du sujet et la trace de son existence. En tant que fondatrice de l’émergence du désir, la place vide laissé par le manque apparaît donc comme essentielle or, cet espace ne peut prendre forme sans l’existence de points de repères, sans une confrontation à la loi fondamentale qui est celle de l’interdiction de l’inceste. En posant la mère comme un objet interdit, cette loi entraîne un renoncement, une perte et, c’est en se constituant en tant que manque que le mouvement des représentations pourra prendre son élan. Mais, si il apparaît qu’un espace à l’intérieur duquel le sujet puisse se tenir en mouvement soit délimité ,grâce au vide laissé par le renoncement institué par la confrontation à la loi fondamentale de l’interdiction de l’inceste, il s’engage alors un rapport au monde qui implique nécessairement la question de l’éthique. L’éthique pose la question du danger qui guette chacun, celui de vouloir combler le manque, de vouloir prendre la place du grand Autre, alors que l’élaboration d’une place vide serait justement ce qui permet le mouvement et la construction d’un espace psychique subjectif, l’émergence d’une fonction poétique du langage.

Ainsi, l’essentiel n’apparaît pas dans le sens, mais dans l’élaboration du mouvement, à l’avant de soi, à cette place où le sujet va venir se lier aux objets refoulés, à la place du vide. C’est ce qui permet le mouvement et la mise en place d’un espace du possible, d’un champ de création. C’est pourquoi, dans la pratique de la cure analytique ou encore dans l’acte d’écrire, dans l’engagement dans le transfert et dans ce que la folie de la langue fait surgir de l’autre en soi , « ...La langue peut être en quelque sorte le lieu de l’Autre ». C’est avec un certain style, que l’analyste comme le poète, « ne cédant pas sur leur désir » (Lacan), c’est à dire en ne renonçant pas à la castration, vont pouvoir se trouver au lieu du vide et qu’un espace du Dire pourra advenir, laissant place à l’émergence d’un désir singulier et intime. Et  c’est ce désir qui semble nécessaire pour qu’un mouvement puisse avoir lieu, pour qu’une certaine mise en forme ou plutôt une forme en apparition , puisse engager le sujet dans l’Ex-istence.

Pour finir , je voudrais à nouveau citer Tosquelles qui, dans son écrit, semble situer le mieux ce lieu de convergence entre psychanalyse et littérature et comment il peut constituer un espace d’accueil pour l’homme, dans son cheminement, dans l’articulation de sa présence à soi et de sa présence à l’autre : « ...grâce aux poètes, et pourquoi ne pas le dire, grâce aux fous, l’homme continue et continuera à témoigner plutôt de la « structure feuilletée » et de la pluralité de soi-même, et des effets du clivage des signes linguistiques, ou, si on veut, « des institutions du moi ». Je parle des institutions du moi pour indiquer que , grâce au « feuilletage » et aux clivages en question, se sont construits de véritables noyaux qui ne se sont « institués » qu’après la naissance et qui se font et se défont à travers les divers plans et partages du bien nommé appareil psychique. Rien de tout cela ne serait possible sans la particularité radicale du clivage des signes linguistiques, dans leur va-et-vient quotidien, à travers les rencontres et les pertes, de soi-même ou de quoi que ce soit d’autre dans le jeu des uns avec les autres. Rien de tout cela ne constituerait les lieux marqués par les « traces » et les marges qui nous positionnent en tant qu’hommes. Nous ne cessons jamais de les subodorer dans les jeux de cache-cache qui nous bouleversent plus ou moins : restes et retours d’un désir qui se laisse entrevoir et qui trouvera à se satisfaire plus aisément d’immanences suspendues et de sutures contrefaites à la va-vite ; « lieux du corps » et des «espaces intérieurs et extérieurs » d’où nous pourrons « citer à comparaître » et rencontrer les autres et nous mêmes, à condition que les uns et les autres ne prennent pas la fuite, honteux et apeurés. Lieux des « similitudes et des différences » toujours plurielles et segmentables, sur le modèle même de la langue. Ou, si on veut, pour que l’analogie soit plus précise et orientée vers le travail du poète Biel, nous dirons qu’il s’agit de lieux institués, où, sans se morceler de soi-même, on pourra produire les césures métriques, ou les pauses, après chaque accent : ni plus ou moins que le travail poétique. Nous avons déjà dit que l’un de ces lieux institués par la parole ne dépend presque jamais du sens ou des significations de ce qui se dit, mais que, pour autant, il ne s’institue pas moins avec la parole : un lieu qui devient fondamental pour chacun, car,bien qu’il ne se laisse entrevoir qu’à certains moments fugitifs de la vie quotidienne, c’est de ce lieu même qu’émergent les questions les plus importantes pour ce qui concerne notre propre destin. Disons que, dans la spontanéité quotidienne, ce n’est pas la première fois que nous jouons à « cachette ». Il y est question du « présent » et de « l’absent », et vice versa, ni plus ni moins que la problématique de base de notre vie, la vie des uns en relation avec celle des autres. Ce que nous avons nommé le « sujet » ne fait pas exception au jeu de cache-cache». 7



1 TOSQUELLES François, Fonction poétique et psychothérapie, Ed.Eres,2003, p25
2 ibid, pp 40-41
3 BOURGAIN Anne,cours master 1 psychanalyse, Université P. Valéry Montpellier 3, 2018 /2019, p15
4 TOSQUELLES François, Fonction poétique et psychothérapie, Ed.Eres, 2003, p98 
5 LACAN Jacques,le séminaire livre X, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Ed. du Seuil, 1986, p77
6 Ibid, p 78
7 TOSQUELLES François, Fonction poétique et psychothérapie, Ed.Eres, 2003, p 100-101

19 novembre 2016

Histoire d’inter-clubs et autre T.R.UC. à partir d’une lecture de l’interview de F. Tosquelles « L’école de liberté » Exposé au Groupe Tosquelles – Tours



            Introduction

            La lecture de l’interview m’a beaucoup fait penser aux mouvements inter-clubs de ces dernières années dont les échanges se sont intensifiés ...

Je vous propose donc de vous transmettre l’historique et l’état actuel de l’inter-club national et de ses liens en dehors de nos frontières.
Les  questionnements évoqués par Tosquelles dans ce document y sont toujours d’actualité. Je vais picorer des extraits pour illustrer l’aventure récente des rapprochements des clubs thérapeutiques : Projet de Fédération des Clubs Thérapeutiques, du réseau transatlantique, du T.R.U.C. …


Je regrette de ne pas avoir eu le temps d’explorer les différences et « la querelle » évoquée dans le texte entre Antipsychiatrie et Psychothérapie Institutionnelle.
Franco Basaglia m’a fait penser à la Communauté Thérapeutique de Peñalolén au Chili avec laquelle nous sommes jumelés.
Ce que l’on peut juste dire c’est qu’il y a des choses intéressantes des deux cotés. J’ai été  touché notamment par ce que dit F. Basaglia dans le documentaire « Les jardins d’Abel » de Sergio Zavoli [1] : son engagement dans la reconnaissance du malade comme personne et comme citoyen avec des droits civiques.

Communauté Thérapeutique et Club sont des mots et cela dépend de la manière dont ils sont habités. L’expérience chilienne de Peñalolèn n’a rien à voir avec certaines structures grecques actuelles dites de Communauté Thérapeutique qui n’en porteraient que le nom et se révéleraient être, finalement, des structures asilaires.
Et de même de l’autre coté : des structures ayant eu une l’expérience de la Psychothérapie Institutionnelle et du Club ont pu glisser dans le temps avec un retour en arrière dans leur pratique : des structures avec la coquille Club mais vides.
Ce dernier paragraphe pour apporter des nuances. Il aurait mérité d’être exploré de façon plus approfondie.
Je pense notamment au concept de double aliénation, cher à Jean Oury qui demanderait à être plus développé et pris en compte dans les diverses expériences.


Je poursuis avec mon sujet, l’inter-club ou plutôt les inter-clubs…
Pour cela j’ai commencé à associer, à déconniatrer comme dirais Tosquelles.



            « Ma famille habite dans le Loir-et-Cher »

Dans ce département, il y a aujourd’hui 3 clubs (anciennement 4 avec le club des Jonquilles de la clinique de Freschines aujourd’hui fermée) situés dans un rayon de moins de 20 Km.
Chacun a une pratique singulière lié à l’histoire des lieux et des personnes présentes : pour rappel, création en 1953 du Club de La Borde, en 1956 celui de La Chesnaie et en 1977 celui de  Saumery.

Originaire de Tours, je suis arrivé au printemps 1999 dans ce département. Je me suis rapidement représenté ces clubs comme des frères, ou du moins faisant partie d’une même famille avec des origines communes venues de Saint Alban.
Et qui dit famille, dit histoires de familles : des fantasmes qui se transmettent et se transforment de générations en générations …

Les échanges et surtout l’organisation de projets inter-clubs n’étaient alors pas si nombreux.
Ce n’était pas « Si loin, si proche » comme dans le film de W. Wenders, mais plutôt « Si proche, si loin … »

A l’automne 2010, Saumery fait la demande pour que l’un de ses patients puisse être accueilli sans soignant, à  l’atelier poulailler de La Borde …
Il nous semblait que le cadre de l’atelier avec notamment ses chevaux, pouvait être une bonne idée pour la prise en charge de ce  patient, Saumery n’ayant plus ses équidés depuis peu.
Discussion au Comité Hospitalier de La Borde en présence des 2 clubs. On y aborde les questions d’assurance, la nécessité de la présence d’un soignant, et qu’il existe déjà un atelier Gazette animé par La Borde en ville où deux patientes de Saumery se rendent régulièrement sans soignant de leur club.

Cet accueil au poulailler ne se fera pas au final, mais l’événement aura le mérite de créer un rapprochement des clubs du Loir et Cher.
Tout d’abord des moniteurs de Saumery rejoignent l’atelier Gazette, et d’autre part s’instaure une réunion régulière entre La Borde et Saumery tous les 2 mois, à tour de rôle dans chaque clinique, pour échanger sur la pratique, se rencontrer, créer ensemble …

Très rapidement le club de La Chesnaie et ensuite, en 2014, le club Rayon de Soleil de Château Renault rejoignent l’InterClub « départemental ».

Les réunions des premières années sont régulièrement ponctuées par le fantasme de perdre son identité, que l’InterClub supplante les clubs.
Cette époque a été traversée en répétant que l’InterClub n’était pas décisionnaire et qu’il se voulait avant tout un espace de rencontre favorisant l’émergence de projets.

Tout cela a été possible car il y a des camarades, des copains, de la connivence et l’énergie d’insuffler ce désir, patiemment,  aux différents collectifs.

L’évocation de Tosquelles[2] (page 20) à partir du  film « No man’s land » de Tanner[3] me fait penser aux fantasmes de pertes d’identités vécues lors de nos premières réunions.
Rencontrer, c’est un double passage : être reconnu dans son propre pays et par l’autre, le pays étranger. Reconnaissance des identités et des différences de chacun.

La question de la double frontière,  de l’identité : Qui je suis ? Qui tu es ? La réciprocité. La reconnaissance.
Garder son identité tout en accueillant celle de l’autre.


Malgré ces peurs, le passage de la frontière a été possible : les circulations entre les cliniques ont permis à des projets d’émerger plus facilement, plus fréquemment et plus rapidement.

Quelques exemples:

- Créations d’ateliers inter-clubs : Ciné’Mare, atelier cinéma où l’on dîne, visionne et discute ensuite autour du film ; « La Gazette » qui réunit les clubs dans un appartement thérapeutique Croix Marine en ville et publie régulièrement son journal ; divers ateliers sportifs …

- Mai 2012. : l’association Ciné’Fil de Blois invite les clubs à participer à un Cycle « Ciné Marge » en incluant dans sa programmation les productions audio-visuelles des Clubs Thérapeutiques.
Des mois de préparation où, en présence de Ciné’Fil, nous visionnons et sélectionnons ensemble notre programmation.

- 2015 et 2016. Des InterFêtes qui regroupent les 4 clubs sont  organisées par l’InterClub.
Auparavant les événements festifs étaient organisés par un club qui invitait les autres clubs : le 15 août à La Borde, La Fête de La Chesnaie, le carnaval de Saumery…

- Il y a 2 ans, on se met à rêver d’un voyage inter-club à Porto. Le séjour, est à l’image des résistances qui planent sur l’InterClub 41 : « C’est de l’utopie, c’est déjà compliqué au sein de chaque clubs. Pourquoi y ajouter de la difficulté ? ».

Au final les clubs Rayon de Soleil de Château-Renault, les clubs de La Chesnaie et de Saumery se nomment pour l’occasion le collectif de l’Odyssée du Centre. Ils  préparent durant 1 an et demi ce séjour après le rêve, le séjour a eu lieu la semaine dernière, du 8 au 12 novembre avec 24 personnes.
Un autre séjour est évoqué à destination de Lisbonne, peut être avec le club de La Borde. Cette fois-ci dans l’idée de rencontrer des structures de PI. Le contact est déjà pris avec «Radio Aurora, autra voz » de l’hôpital lisboète Júlio de Matos.



            Ma famille habite la France
            Avec la devise de Tosquelles : « Liberté, Différence, Fraternité ! »

En 2013. Si on cherche sur le net le mot “Inter-clubs”, on ne trouve que l’article d’Alain Buzaré et de Pierre Delion « Un inter-clubs pour tisser des passerelles »[4] écrit en 1994 sur l’inter-clubs d’Angers.
Enthousiastes, nous prenons contact avec eux. L’inter-clubs existe toujours et il nous invite à l’AG du B.I.C.
C’est un Inter-clubs structuré financièrement et administrativement qui met en lien 5 clubs.
Une belle rencontre : lors de l’AG, nous évoquons en plaisantant l’idée d’une Internationale des Clubs.


En 2014, ils nous réinvitent et cette fois-ci il y a aussi les clubs de Landerneau et de Reims, nous faisons connaissance.
La rencontre de Reims et Saumery est aussi très importante. Une belle rencontre où la confiance nait progressivement entre les membres des 2 clubs.
Nous sommes sur la même longueur d’onde !
Ce sont des camarades, des copains… des alliés dans la résistance à la normalisation ambiante de l'époque qui est la nôtre.

Là aussi résonne l’image de  « la double frontière » de Tosquelles à partir du  film « No man’s land » de Tanner.
La question de la réciprocité et de la reconnaissance : on se reconnaît et on se fait confiance. On est chez nous chez eux, avec notre différence, et inversement.


En 2015, Reims à l’excellente idée de créer un Forum des Clubs Thérapeutiques lors de la SISM, rebaptisée à Reims Semaine de la folie ordinaire.
Une douzaine de clubs français et belges y sont présents.
Chacun raconte ses fonctionnements liés à sa géographie, à son histoire, aux désirs des personnes présentes … : club avec ou  sans association loi 1901 …
De multiples structures, et pas de modèle de club mais un invariant : soignés et soignants sont reconnus comme sujets, en tant que personnes … Le club est un outil de subjectivation et de socialisation …

En 2016 Saumery propose d’organiser le Forum suivant avec les conseils de Reims. Des liens étroits se tissent entre eux.
Le Forum a lieu à Chambord en mai 2016 et réunit une trentaine d’associations.
L’événement est retransmis en FM par radio Colifata en Argentine et en streaming sur le net.
Suite à l’idée énoncée à Angers, est encore relancé la création d’une Fédération, d’une Internationale des Clubs.

Un Forum itinérant est né.
Le suivant sera organisé par un collectif à Gennevilliers pour le 9 juin 2017 …
Actuellement, nous nous rencontrons tous les 2 mois pour préparer le 3ème Forum avec un peu plus d’exigence dans son organisation : séance plénière, ateliers ... Un peu sur le modèle de la FIAC.
Nous nous retrouvons aussi pour parler autour de la fédération, avancer des propositions et les transmettre lors du Forum à venir.



            Notre famille, citoyenne du monde

Parallèlement, cela fait 10 ans que le Club de Saumery est jumelé avec la Communauté Thérapeutique de Peñalolèn inspiré des CT anglo-saxonne (USA : Maxwell Jones, Thomas Szasz. Angleterre : David Cooper, RG Laing) comme ce fut le cas de l’expérience italienne de Gorizia.
Après des échanges épistolaires et une préparation du voyage, le club de Saumery est allé à leur rencontre en 2009, les avons accueilli en 2014 et espérons y retourner en 2018.
Au delà de l’Atlantique, encore une fois, nous avons rencontré nos semblables, une même famille.
Une autre langue et d’autres mots. Ce n’est pas la dénomination Club, mais Comunidad Térapeutica et Assemblea General pour nommer l’Esprit du club.
Lors de notre accueil chez eux nous étions comme lors de notre réunion du lundi au salon vert, à 12.000 Km de distance.

Aux deux Forums, la CT de Peñalolèn était présent par la lecture de leur texte et en 2016 il y a même eu des échanges radiophoniques en direct avec le Chili et l’Argentine.


L’atelier Chili de Saumery accueille régulièrement des stagiaires sud américain en stage à Saumery ou à La Borde. Un réseau informel transatlantique s’est formé via mail (Argentine, Chili, Uruguay…) et favorise de nombreuses rencontres transatlantiques.

Il y a aussi des échanges entre professionnels : des stages, des traductions de textes en espagnol…
Et aussi la publication prochaine dans la revue argentine Topia d’un article autour de ces mouvements transatlantiques : « Circulaciones y colectivos transatlánticos, una propuesta de redes terapéuticas »[5]




            Perspectives… Le T.R.U.C…

Dans le cadre des réunions de réflexion sur la création d’une fédération, le 8 octobre dernier à Paris, les 8 associations présentes ont statué sur la création du collectif le T.R.U.C.  
Acronyme de Terrain de Rassemblement pour l’utilité des Clubs.
Un compte rendu a été diffusé très largement.

Il y a les professionnels qui se rencontrent dans « leurs clubs » qui sont  les associations culturelles, mais pas les clubs thérapeutiques entre eux.
L’enjeu est aussi là, favoriser des rencontres entre les différents clubs thérapeutiques …
Idée d’un dispositif à l’image de la FIAC, avec ses journées via les Forum, un Journal …

« C’est en allant à l’extérieur que l’on peut aussi interroger l’intérieur »
Citation de Christelle Pourrier, psychologue au Centre Artaud qui illustre la connivence dans cette aventure : Elle a lu ce texte et y a ajouté des commentaires.

Mais attention à l’écueil : créer de l’ouvert, oui, mais il ne faut pas que cela soit une fuite en avant et oublier le quotidien du club, de l’intérieur de sa maison…


Le Collectif Artaud de Reims et le club de Saumery, régulièrement en contact via leur réunion de club, élaborent conjointement une proposition de Manifeste de ce qu’est et de ce à quoi sert le TRUC.
L’idée est de présenter et de valider le Manifeste au collectif fondateur et de le diffuser.
Il sera présenté officiellement à la deuxième réunion du T.R.U.C. le samedi 14 janvier à Paris.



            Le défi de la fédération, du mouvement actuel…

Le Collectif T.R.U.C. prémice à une fédération, et son Manifeste en gestation prémice de statuts ?

« J’ai continué à travailler, même après, mais à Saint Alban tout s’est terminé en 1952. La mort de l ‘expérience a coïncidé avec son baptême, quand Daumezon l’a dénommée « psychothérapie institutionnelle »
Provocation de F. Tosquelles, en bas de la page 1[6] où il prononce la fin de la PI en  1952 !
Se pose la question de la reconnaissance officielle  (Association loi 1901 avec statut déposé en préfecture,) question qui est à double tranchant :
-       Se faire entendre par les autorités
-       Devenir une institution bureaucratique et sans mouvement créateur.

Une fédération, je ne sais pas, je ne sais plus… mais les mouvements actuels, oui !
Avec des mouvements transférentiels entre les membres de clubs de France, et de l’autre coté de l’Atlantique… et plus à venir …
La période de création, d’ajustement est la plus intéressante.
Pour le dire autrement  et reprendre les mots de J. Oury: « Quand un atelier fonctionne, il faut l’arrêter ! » à entendre dans le sens de symptôme de chronicisation. 
Des idées se confrontent, s’échangent dans ces différents clubs, et entre eux.

Le Manifeste s’élabore patiemment, des rencontres inter-clubs nationales ont lieu régulièrement pour la préparation du 3eme Forum et pour  penser le TRUC…


On ne sait où on va exactement, mais il y a du désir, le chemin se fait en marchant…
Nous avons l’élaboration du Manifeste en tête et quelques citations qui nous accompagnent :


« La utopía está en el horizonte. Camino dos pasos, ella se aleja dos pasos y el horizonte se corre diez pasos más allá.
¿Entonces para que sirve la utopía? Para eso, sirve para caminar. »

"L'utopie est dans l'horizon. Je marche deux pas, elle se déplace de deux pas et l'horizon courre dix pas plus loin.
Alors à quoi sert l'utopie? A ça, cela sert à cheminer, à avancer"

Eduardo Galeano, poète uruguayen.



"…ne pas se prendre trop au sérieux pour sauvegarder au maximum le « sérieux » de notre entreprise."[7]

Jean Oury
  

Samedi 19 novembre 2016

Luis Tomé
Moniteur à la clinique de Saumery
Membre du bureau du Club Thérapeutique de Saumery




[1]Les jardins d'Abel » de Sergio Zavoli, 1968, RAI, Gorizia, VOSTfr

[2] Interview de F. Tosquelles « L’école de liberté », page 20.

[3] “No Man’s Land” de Alain Tanner, 1985.

[4] Actualité de la psychothérapie institutionnelle, sous la direction de Pierre Delion, Editions Matrice, 1994.
Page 202 à 227 « Un inter-clubs pour tisser des passerelles »

[5] « Circulaciones y colectivos transatlánticos, una propuesta de redes terapéuticas ». Gloria Silva et Luis Tomé
Article à venir dans la revue Topia n°79 de Avril 2017.
Topía. Un sitio de psicoanálisis, sociedad y cultura
https://www.topia.com.ar/

[6] Interview de F. Tosquelles « L’école de liberté »

[7] Jean Oury
Publié le 8 janvier 2010 par Marie-Christine Hiebel.
Hommage de Jean Oury à Lucien Bonnafé.